Un
bouleversement psychologique
Enfin, et plus graves peut-être, l’apparition de l’épidémie a toujours eu de grandes conséquences psychologiques, conséquences qui se ressentent encore longtemps après que l’épidémie ait disparue. En effet, lors de toute épidémie grave et meurtrière, la population s’effraie et on assiste à un phénomène de psychose collective. La population semble poussée au mystère de la déraison et rapidement, rumeurs et fantasmes se propagent. Ce mouvement de masse hystérique est incontrôlable et, effrayés par le risque de contagion, les hommes cherchent à accuser des individus considérés comme de commodes coupables. Ainsi, durant ces graves épidémies de peste, les hommes ont cherché des boucs émissaires qu’ils considéraient comme responsables de l’épidémie et dont la mort pourrait empêcher la propagation de l’épidémie et venger l’humanité. On a donc assisté à des massacres de lépreux puis de juifs – phénomène que les historiens ont longtemps passé sous silence -. Ainsi, dans les régions du Rhône et du Rhin en 1348, les juifs, accusés d’avoir empoisonné les fontaines, étaient massacrés. Un autre type de racisme se développa aussi à l’envers des médecins chargés de s’occuper des pestiférés et des croque-morts et autres nettoyeurs chargés d’enlever les cadavres, personnel recruté d’urgence et payé cher (voir l'avis au public) pour effectuer le travail que personne d’autre ne voulait faire. En effet, il semblait inadmissible que l’on puisse profiter de la mort d’autrui et on les accusait donc de voler les malades, de piller les maisons et de s’emparer des héritages. On allait même jusqu’à s’imaginer que s’ils n’étaient pas directement responsables de l’épidémie, ils essayaient en tous cas de la faire durer le plus longtemps possible. L’apparition d’une épidémie entraîne donc souvent une forte augmentation de tension, de racisme et de méfiance, phénomène bien assez présent aujourd’hui et dont nos sociétés pourraient bien se passer. Parallèlement à cette recherche de coupables apparaît
un autre phénomène : un culte originel lié à la crainte de Dieu.
En effet, ne sachant pas quand la maladie peut réapparaître, les hommes sont de plus en plus méfiants, la violence et le chaos augmentent et l’horreur de l’épidémie et la hantise de la mort rendent «plus cruels les uns pour les autres ». La violence augmente aussi par le sentiment d’injustice entre les différentes classes sociales. En effet, les hommes semblent inégaux face à la mort puisque les plus riches peuvent fuir l’épidémie alors que les classes défavorisés vivent avec de moins bonnes condition d’hygiène et ne peuvent pas toujours se permettre de voir un médecin. On remarque d’ailleurs à quel point la conscience collective a été secouée à travers l’évolution artistique de l’époque. La peinture, d’une part, semble être en grande mutation : apparaissent des images de grande naïveté montrant Dieu ou un de ces anges lançant les flèches de la peste sur le monde mais aussi des images terrifiantes des effets de la maladie, dans un style contrasté et ténébriste, où le thème de la douleur semble être privilégié.
Un nouveau style se crée, appelé la danse macabre. Ces peintures mettent en scène des épisodes de la vie quotidienne –des paysans durant une fête du village, des chasseurs en forêt- où la mort rode entre les vivants. Ainsi, des squelettes sont représentés dansant avec une paysanne, chassant avec les chasseurs ou même baptisant un nouveau-né. D’autre part, on assiste aussi à l’apparition d’images votives et commémoratives. La sculpture, elle aussi subit une profonde mutation : on assiste à l’apparition de sculptures morbides représentant les ravages de la peste : des corps ravagés par la maladie, des yeux figés d’horreur. Même les cimetières se posent en témoins du fléau. Ainsi, avant l’apparition de la peste, on pouvait lire des messages pieux et observés des représentations d’anges et de paradis sur les stèles. Mais, lorsque le fléau se fait meurtrier, ces dernières sont décorées de squelettes, de représentations du mort, le corps décomposé ou de phrases causes d’horreurs et d’effroi pour les survivants. Ainsi, on peut lire sur une stèle londonienne du XVIe siècle : « Et comme je suis vous serez, donc préparez vous à me suivre. » Dans la littérature aussi, outre l’apparition de livres médicaux relatant les symptômes, certains livres tels le Décameron de Boccace relatent certains épisodes de la peste et montre la fragilité et la faiblesse de l’homme face à l’épidémie et face à Dieu. L’art semble donc s’enfoncer –en reflet de l’attitude de la population qui multiple les confréries pieuses- dans le ritualisme et le surréalisme. Antisémitisme latent, accroissement du culte religieux, augmentation de la tension et du chaos… les épidémies ont donc provoqué de graves conséquences psychologiques, conséquences qui étaient encore visible longtemps après que le dernier cadavre ait été enterré. |
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Bien sur, on voudrait tous penser que, si l’épidémie réapparaissait aujourd’hui, les conséquences ne seraient pas telles, que la société a évolué, qu’on est beaucoup plus civilisé, que l’hystérie de masse, non ! On ne connaît pas… mais l’hystérie de masse est incontrôlable et face à une telle situation, nous n’agirions peut-être pas beaucoup plus dignement que nos aïeuls… La peste reste donc toujours un grand danger !
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